lundi 21 décembre 2009

SNCF Blues / De la grève des cheminots en France, 1986

On peut dire que les derniers événements en France ont surpris tout le monde, nos ennemis comme nous-mêmes. Après les multiples défaites du mouvement social, ces dix dernières années, l’avenir s’annonçait plutôt sombre pour un bout de temps. Jamais, depuis l’épopée algérienne des pères fondateurs de la Ve République, la domination de la bourgeoisie française n’avait semblé aussi solide et aussi absolue. Jamais elle n’avait autant fait sa propre apologie et affirmé son mépris et sa haine des prolétaires. Et la grande majorité des fossoyeurs de ce monde paraissait totalement écrasée, résignée, voire bien mûre pour se comporter suivant les nouvelles normes du darwinisme social à la Bernard Tapie. Toute volonté de révolte semblait détruite, refoulée par le matraquage idéologique, et le matraquage tout court, des gardiens de l’ordre social.
Mais entre la représentation avantageuse que se fait ce monde de lui-même et la réalité de ses contradictions sociales, il existe une notable différence. Ce qui, dans la conscience dominante, passait pour fatal, pour acquis, a été remis en cause. Il a suffi que les plus résolus des jeunes, et moins jeunes, prolétaires expriment collectivement leur esprit d’insoumission pour que toute cette belle mécanique, si soigneusement mise au point par les managers de l’Etat, se révèle beaucoup plus fragile et difficile à contrôler qu’on pouvait le penser. La plate contestation de l’université par les étudiants, ces gens qui désespèrent de devenir cadres, a ouvert une brèche que de plus radicaux, tels que les Lascars des LEP, ont tenté d’utiliser pour eux. Avec les échauffourées du Quartier latin, la situation commençait ouvertement à échapper des mains débiles des rénovateurs du ghetto universitaire. Après quelques jours de calme précaire, la crise sociale rebondissait avec l’entrée en grève des prolétaires de la SNCF.
Pourtant, malgré la grande détermination de ces grévistes, elle s’est terminée sur une défaite. Au moment où ces prolétaires étaient en train de créer quelque chose de neuf, de se transformer, eux et les situations dont ils héritaient, la plupart d’entre eux ont fait craintivement appel à l’esprit du passé  : celui de l’ancien mouvement ouvrier. Cette puissante grève s’est effondrée plus sous le poids de ses contradictions que sous les coups de l’Etat. C’est un paradoxe du mouvement prolétarien contemporain dans nos pays démocratiques  : les prolétaires n’ont trop souvent de pires ennemis qu’eux-mêmes. L’objet de ce texte est d’en faire la démonstration.

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