mardi 7 décembre 2010

Articles sur le "ninja"

"Six mois ferme pour le "ninja" de la manif des retraites

Les Inrocks, 06/12/2010 | 20H47

Le “ninja” n’est pas un policier transformiste mais un autonome de trente ans. Ce lundi, Grégory B. comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits commis le 16 octobre lors de la manifestation contre la réforme des retraites. Alors qu’un quinquagénaire veut empêcher un casseur de défoncer la façade d’une banque, Grégory B., le visage dissimulé, saute et lui assène un coup de pied dans le dos.

Une vidéo de la manif sauvage et de cette action précise, tournée par l’agence Reuters, se retrouve sur tous les blogs et sites d’information.

Commence alors un tourbillon médiatique : on soupçonne “le ninja” d’être un policier en civil provocateur. En fait non, c’est bien Grégory B., il le reconnaît devant le tribunal. Sur des photos prises une heure avant, les services de police avaient d’ailleurs pu l’identitifier grâce à ses vêtements. Encadré par deux gendarmes, il s’explique :

“J’ai vu monsieur intervenir. La situation était tendue, il risquait de se faire lyncher. Je n’étais pas là pour agresser des passants. J’ai voulu lui faire peur, le faire fuir.“

Le président du tribunal ironise : “c’est pour son bien que vous lui donnez un coup de pied ?” “Pourquoi n’avez vous pas utilisé vos mains ?” demande la juge assesseur. “Ca prend plus de temps. C’était pas un coup qui frappe, plutôt un coup qui pousse.”

La victime s’est constituée partie civile. Bertrand De Quatrebarbes rencontre pour la première fois son agresseur à visage découvert. Condamné à plusieurs reprises depuis 2003 pour violence, port d’arme, dégradations, transports de produits explosifs, refus de prélévement, Grégory B. a reçu sa dernière peine le 1er mars. Il vit de petits boulots et du RSA, change souvent d’adresse.

La partie civile n’a visiblement pas gardé une dent contre l’auteur du coup de pied :

“Je ne pense pas que le débat sur les retraites ait besoin de casseurs, c’est pour ça que je suis intervenu. Sur le moment je n’ai pas perçu qu’il ait cherché à me défendre, mais je suis content que ce soit le cas.”

Bertrand de Quatrebarbe explique avoir porté plainte sur proposition de la police, “pour qu’on trouve qui était le casseur” et parce qu’il “craignait qu’on prenne le premier venu pour en faire un coupable”. Expliquant que le coup de pied ne l’avait pas blessé, simplement projeté contre la vitrine, il ne demande un euro de dommages et intérêts pour le préjudice corporel. Et 500 euros pour le préjudice moral (la violence, la peur provoquée), qu’il reversera au Secours Populaire.

Deux gardes à vue

L’étrangeté de l’audience tient surtout aux circonstances de l’arrestation. Présenté par les syndicats policiers, voulant se défendre des accusations d’infiltration, comme un “militant d’extrême-gauche”, Grégory B. est arrêté une première fois le 28 octobre. Plusieurs sources policières, y compris la Préfecture de police de Paris, le présentent alors comme le “ninja” présumé, identifié grâce aux images, avant de redevenir prudente.

En réalité, Grégory B. est arrêté ce jour-là pour une autre affaire de dégradations, datant du mois de mars. Ses avocats, Maîtres Bedossa et Devonec, s’indignent : leur client a également été entendu sur le coup de pied lors de cette garde à vue, ce dont ils n’ont pas été prévenus.

“Cette garde à vue entache la procédure”, estime Maître Bedossa, qui soulève la nullité. Le parquet parle d’une audition “pendant un temps de repos”. Ce n’est pas le seul vice de procédure dénoncé par la défense.

Relâché et mis en examen pour l’autre affaire, Grégory B. est arrêté à nouveau quelques jours plus tard, le 5 novembre. Dans l’attente du procès de ce lundi, il passe un mois à Fleury-Mérogis, en détention provisoire.

Deux ans de prison requis

Un coup de pied donc, c’est-à-dire des violences légères, normalement passibles de 750 euros d’amende au tribunal de police. Mais avec la circonstance aggravante de dissimulation du visage, cela devient plus sérieux. Grégory B. est également poursuivi pour dégradation d’un bien privé en réunion, en l’occurrence la façade de la banque. Pour la procureure, “Monsieur B. vient pour empêcher un passant d’empêcher le casseur de casser”. Il serait donc complice.

A cela s’ajoute le refus de prélévement ADN, de prise d’empreintes et de photos. Le prévenu met en avant son opposition au fichage. L’avocate de la partie civile voudrait en savoir plus sur ses convictions politiques, mais il refuse de s’étendre sur le sujet.

La procureure s’en charge pour lui, en détaillant le fruit des perquisitions : un tract sur le prélévement ADN, le fascicule “Face à l’outil antiterroriste, quelques conseils pratiques” diffusé par des groupes anarchistes ou autonomes. Le président du tribunal, avant elle, avait évoqué les livres, vêtements, jumelles et caméras retrouvés dans le squat où habiterait Grégory B. et dans un box dont il gardait la clé.

“Monsieur B. est très certainement quelqu’un qui a des convictions politiques [...] dans le détail desquels il ne m’appartient pas d’entrer”, résume le parquet, tout en faisant l’inverse. La procureure requiert deux ans de prison ferme pour l’ensemble des faits et deux mois pour le refus de prélévement ADN, qui doit être examiné séparément.

L’avocate de Grégory B. s’indigne : “S’il n’y avait pas eu cette photo, l’intervention de Mélenchon et de Thibaut, on n’en serait pas là. Il n’y a pas de raison que GB, parce qu’il a été pris en photo, paie plus que les autres. On veut empêcher certains de penser ce qu’ils pensent, de vivre comme ils vivent.” Maître Devonec renchérit : “Il y a quand même une petite disproportion entre le fait d’être depuis un mois à Fleury et que le parquet demande 23 mois supplémentaires et le fait que la victime n’ait aucune blessure.”

Résultat : un an de prison dont six mois fermes et les dommages et intérêts demandés par la partie civile. Malgré l’agitation médiatique et l’existence de photos assez nettes, le casseur de la banque, lui, n’a jamais été retrouvé.

Le "ninja" devant la justice : 6 mois de prison ferme

Le Post, 07/12/2010 à 12h22

"6 mois ferme et 6 mois de sursis avec mise à l’épreuve" : telle est, selon ce que nous confie lundi soir, peu avant 21 heures, un de ses avocats, Maître Devonec, la condamnation dont écope finalement le "ninja." Il devra aussi, selon Les Inrocks, verser les dommages et intérêts demandés par la partie civile.

"C’est beaucoup trop : il n’a fait aucune victime, blessé personne, rien cassé. Je trouve ça injuste", réagit Me Devonec sur Le Post.

Interrogé sur son intention de faire appel, l’avocat du "ninja" répond qu’il y a "peu de chances", dans la mesure où s’il fait appel maintenant, le temps que son client passe devant la cour d’appel correspondra sensiblement avec le moment où il sortira de prison.

Le 16 octobre dernier, en marge d’une manifestation parisienne contre la réforme des retraites, un manifestant encagoulé - rapidement surnommé le "ninja"-, donnait un violent coup de pied dans le dos à un homme qui tentait d’empêcher un individu de défoncer la vitrine d’une agence bancaire, rue Diderot, dans le 11ème.

Peu de temps après l’événement, une rumeur lancinante accusait l’agresseur d’être un "policier déguisé en casseur".

L’identification de cet individu a finalement été rendue possible grâce à cette vidéo qui a fait le tour des médias et du Web :

Jeudi 28 octobre, on apprenait qu’un jeune homme, possiblement ce fameux "ninja", âgé d’une trentaine d’années, avait été interpellé à proximité d’un squat, dans le 20e arrondissement de Paris, et placé en garde à vue. Comme nous l’expliquait alors le parquet de Paris, c’était dans le cadre d’une commission rogatoire et "suite à des événements de mars 2010", notamment des dégradations de distributeurs automatiques de billets et de boutiques. Le parquet nous avait toutefois précisé que "cette personne pourrait également être entendue dans le cadre d’événements récents survenus lors de manifestations." Sous-entendu le 16 octobre rue Diderot...

Une semaine plus tard, le 5 novembre, ce même jeune homme était à nouveau interpellé et placé en garde à vue. Soupçonné d’être l’auteur du coup de pied, il avait été présenté en comparution immédiate le 8 novembre dernier. Une audience reportée à ce lundi. Cependant, le juge l’avait placé, entre-temps, en détention provisoire.

C’est donc un jeune homme détenu depuis un mois à Fleury-Mérogis qui comparaissait lundi après-midi devant la 23ème chambre du tribunal corrrectionnel de Paris.

L’audience s’est ouverte vers 15h30, en présence d’un journaliste du Post.

1. Qui est ce jeune homme ?

Le prévenu a 29 ans, vit à Paris où il change souvent d’adresse, est célibataire et sans emploi. Il touche le RSA. "Je vais travailler. J’ai une proposition d’embauche pour janvier" lâche-t-il en fin d’audience, quand le président lui demande s’il a quelque chose à ajouter. Celui qui souhaite travailler en tant que palefrenier déménagerait alors en province.

Quand, un peu plus tôt, il entre dans le box des accusés, Grégory B. se met à l’aise. De taille moyenne, fin et tout de noir vêtu, il ôte sa grosse veste d’hiver et réajuste le col de son polo. Puis croise les bras, droit et sûr de lui, regard franc, sans stress apparent. Il jette un oeil à la quinzaine de personnes, plutôt jeunes, -autant de jeunes filles que de jeunes hommes-, venues le soutenir.

Assez rapidement, il passe à table, et reconnaît avoir été présent dans la manifestation du 16 octobre et être l’auteur du coup de pied.

Quand l’avocate de la victime demande au prévenu : "A quelle mouvance appartenez-vous ?" L’intéressé lui répond : "Je ne souhaite pas trop m’expliquer là-dessus. Je n’ai pas envie de m’étaler plus que ça sur mes convictions politiques."

Quand on lui demande pourquoi il a refusé le prélèvement ADN, il répond toutefois : "Pour faire passer un message. Ça fait partie des choses lesquelles je lutte. Je suis contre ce genre de fichage."

2. Comment explique-t-il son geste ?

A en croire les explications du jeune homme, qui s’exprime bien et de façon assurée, celui qu’il a frappé dans le dos devrait presque le remercier : "J’ai vu Monsieur Q. (la victime sur la vidéo ndlr) intervenir, et j’ai vite compris, comme je participe souvent à des manifestations, qu’il y avait un risque de lynchage".

Mais pourquoi ce coup de pied ? lui demande alors en substance le président du tribunal. Le prévenu répond, en parlant de la personne qui tentait d’empêcher l’individu de défoncer la vitrine de l’agence bancaire : "J’ai voulu lui faire peur, le faire fuir, pour éviter que ça dégénère, pour éviter qu’il se fasse lyncher." Grégory B. explique aussi avoir "essayé de faire reculer les gens, vu une canette de bière voler, et un fumigène."

Avant de "s’éclipser" selon ses termes : "Quand j’ai vu que les gens l’entouraient (la victime, toujours, ndlr) sur le côté, j’ai compris que ça allait bien se passer. Je me suis remis devant et j’ai essayé d’appeler au calme."

Perplexe quant aux explications du jeune homme, le président l’interroge à nouveau sur les motivations qui l’ont poussé à donner ce coup de pied : "Je n’ai pas voulu lui faire mal" lui répond alors Grégory B., décrivant son geste comme "un coup qui pousse, plus qu’un coup qui frappe", appelant l’assistance à saisir "la nuance."

La fille de la victime a été blessée à la main par une canette de bière.

"Mais pourquoi ne pas avoir utilisé les mains ?" questionne alors une juge. Réponse du jeune homme : "C’était plus simple. Avec les mains, c’est délicat. Je voulais lui faire peur et qu’il réagisse en une fraction de seconde. Les mains, ça prend plus de temps".

Concernant le coup de pied, celui qui reconnaît qu’il avait dans la main "un bâton en fer trouvé juste avant, par terre", reconnaît toutefois que "ça aurait pu faire mal, mais que ce n’était pas le but."

3. Connaît-il celui qui casse la vitrine ?

Quand le président demande à Grégory B. pourquoi, au lieu de frapper cet homme, il n’a pas plutôt empêché l’autre individu de continuer à casser la vitrine, il répond "ne pas s’être inquiété pour lui, qu’il ne connaît pas."

Celui qui déclare "avoir trouvé des gens qu’il connaissait dans la manif" ne connaît pas non plus "ceux qui sont arrivés après".

Toujours recherché par les enquêteurs, ce jeune homme qu’on voit briser la vitrine de la banque n’a toujours pas été interpellé.

A un moment, un des avocates du jeune homme, revient sur les déclarations qui avaient fait suite à la diffusion de la vidéo : "Sans cette photo et les interventions de Messieurs Mélenchon et Thibault, que mon client ne connaît pas et qu’il ne souhaite d’ailleurs pas connaître, nous n’en serions pas là."

4. Qu’en dit la victime principale ?

"Je découvre que j’avais un ange-gardien" a tout d’abord ironisé Monsieur Q. à l’issue des explications de Grégory B. Le jeune homme a souri.

Ce jour-là, Monsieur Q. était en terrasse avec sa femme et sa fille quand il s’est levé "comme un ressort" en voyant le "casseur". Ce n’est "qu’en voyant les images" qu’il dit avoir pris conscience que les "dégâts auraient pu être plus importants."

S’il affirme ne pas souffrir de séquelle physique du coup reçu dans le dos, il déclare avoir été "violemment bousculé." Au début, il n’avait pas peur. "Puis, après avoir reçu le coup, j’ai compris qu’ils étaient deux, puis d’autres sont arrivés" raconte celui qui "s’interrogeait, se demandant si ces personnes se connaissaient."

Ajoutant, comme pour justifier le fait qu’il ait tenté de s’interposer : "Je ne pense pas que le débat sur les retraites a besoin de casseurs, ni de violence." Son avocate a ensuite demandé 1 euro symbolique à titre de dommage corporel, 500 euros à titre de préjudice moral, "qu’il reversera au Secours Populaire."

En toute fin d’audience, Grégory B. revient une dernière fois sur les faits : "C’est regrettable et dommage. Je suis désolé pour Monsieur Q., et surtout pour sa fille."

Les réquisitions, tombées en fin d’après-midi, étaient les suivantes : 2 ans de prison ferme avec maintien en détention du "ninja", plus 2 mois supplémentaires pour refus de prélèvements génétiques. Des réquisitions que les deux avocats du prévenu ont jugées "disproportionnées.""